Texte de philippe, photos de philippe, Sébastien et Elisabeth
Lorsque Jean Marx prit le départ de la première Diagonale en solitaire « Brest-Strasbourg », le 27 mars 1931, il ne devait pas une minute penser que des centaines de cyclo-randonneurs l’imiteraient.
Jean Marx avait 21 ans, il était jeune plein de fougue et rien ne pouvait l’arrêter.
Avec Sébastien, mon compagnon de route c’est plus l’expérience et la sérénité qui nous caractérisent.
Comme à nos habitudes, nous démarrons alors que la ville de Brest appartient encore aux "nuiteux" et aux agents de la propreté urbaine.
Sur le pont Albert-Louppe, nous prenons conscience de notre inconscience. Pour une fois, nous ne nous arrêterons pas à Rambouillet ou Saint-Quentin, mais nous poursuivrons notre chemin. Pour nous, le pont Albert-Louppe est perçu comme une transition symbolique : quitter l’Océan pour traverser la France.
La route mène rapidement vers Le Faou, puis l’on progresse dans les terres bretonnes en direction de Carhaix. Les paysages sont encore brumeux, l’air humide, le relief doux mais constant.
La Diagonale se poursuit vers Rostrenen, puis Mur-de-Bretagne où une première pause bien méritée permet de casser la croûte. L’énergie revient, les jambes tournent bien. On rejoint ensuite Loudéac, la boulangère nous accueille avec le sourire.
Il faut préciser que nous avions placé cette Diagonale sous le signe du sourire et chaque fois que nous avons rencontré des locaux et échangé avec eux, nous en avons profité pour saisir leur visage et leur sourire. Ils se sont tous prêtés au jeu.
Toutes ces routes ne nous sont pas inconnues et chacune a sa petite histoire à raconter. D’habitude, dans nos transhumances quadriennales, lorsqu’on quitte Loudéac les yeux sont rougis par le sommeil et les muscles tétanisés par les efforts accumulés. Aujourd’hui, rien de tout ça. Ca file et ça file bien. Sébastien a tracé le parcours à l’aide de Komoot et de temps en temps on s’égare un peu dans la campagne. Comme des cyclo-voyageurs, nous empruntons quelques chemins de traverse à l’issue imprévisible. Et à chaque fois, nous retombons dans la bonne direction. Sébastien est un pro en matière de navigation.
A Sens-de-Bretagne, la Bretagne touche à sa fin, les horizons s’ouvrent davantage. La première grande étape est atteinte à Fougères en fin de journée. Pour la première étape, nous sommes satisfaits. Le cuisinier de l’hôtel est aux petits soins et la nuit s’annonce courte mais bienfaitrice.
Le lendemain, la route reprend vers Châtillon, puis Le Ribay où un petit déjeuner simple mais revigorant s’impose. Mélanie la patronne du « P’tit Ribay » nous propose le café chaud et les viennoiseries tant attendus. Sébastien va pouvoir commencer la journée. Sans son double expresso du matin, l’homme est perdu. Il erre comme une âme en peine. Ensuite, la journée peut démarrer. Avant cette halte matinale, la nuit poursuit ses effets et nous avançons comme des zombies. Nous filons à vive allure vers les collines du Perche qui nous emmène dans la grande ville d’Alençon.
A Le Mêle-sur-Sarthe, un nouveau casse-croûte, puis les kilomètres s’étirent vers Dreux. Le plan de marche est respecté et le vent tout à coup se met à nous aider comme jamais. Ca ne dure malheureusement pas longtemps et il faut s’employer un peu pour rejoindre Montfort-l’Amaury et Versailles.
A Saint-Quentin, d’habitude, nous sommes arrivés et la bière peut couler à flot. Aujourd’hui, les restrictions vont se poursuivre. Pour ma dernière Diagonale du Cycle, j’ai exigé qu’une seule chose, passer sous la Tour Eiffel et traverser Paris d’Ouest en Est. Un caprice, une folie, une extravagance, une lubie, une fantaisie d’enfant gâté m’a dit mon entourage. Oui, peut-être mais moi je vis le cyclotourisme, le voyage à vélo, la longue randonnée, pour vivre ce genre de folie.
Traverser, la région Parisienne, dans la nuit, après 300 kilomètres dans les jambes, c’est quand même autre chose que de s’ennuyer, corps et âme, dans les mornes plaines de la Beauce et la Brie.
Les voies cyclables ou ce qu’il en reste ne nous aident pas. A la tombée de la nuit, elles sont désertes et nous réservent quelques chausse-trappes. Je reconnais bien la région où j’ai débuté ma vie professionnelle, mais les éclairages en moins, ça fait tout drôle.
L’entrée dans Paris se fait par le Pont de Sèvres, puis cap sur la Tour Eiffel, passage obligé. Elisabeth, tout de rouge vêtue, tel un lutin, nous accueille pour nous accompagner dans cette traversée féérique de la ville capitale. Les voies cyclables peu entretenues ont laissé la place à de belles voies bien asphaltées.
La Tour Eiffel nous attend et malgré nos 320 kilomètres, nous prenons le temps d’admirer, de photographier et de caler quelques souvenirs dans la boîte. A 6 minutes près, nous avions droit aux grandes illuminations, dommage, il fallait faire un peu moins de tourisme.
Avec Elisabeth comme guide, nous traversons Paris à vive allure. On ne la ramène pas, tout affairés à ne pas s’encastrer dans un vélo cargo ou autres engins à deux roues. Elisabeth nous étonne, nous impressionne, nous émerveille, nous épate tant elle excelle pour se faufiler entre deux vélos ou deux trottinettes. On sent la pro qui n’est pas là pour faire du tourisme mais pour convoyer deux pauvres randonneurs en quête de repos.
On longe les bords de Seine jusqu’à la Porte de Bercy où se termine la deuxième grande étape, Elisabeth a failli partir droit dans la Seine, mais il paraît qu’elle en a l’habitude. A Paris, ça joue des coudes et c’est le dernier qui résiste qui passe. Dans la nuit, Il n’y a que peu de places pour les purs touristes. Très concentrés avec Sébastien, nous retenons la leçon tout en levant les yeux de temps à autres, au gré d’un commentaire.
Nous arrivons assez tard dans notre havre de paix à la Porte de Bercy. Nous remercions notre guide de la nuit qui nous offre un paquet de nougat en récompense pour la suite. Une bise pour nous aider à nous endormir et c’est parti.
La nuit est courte, mais les yeux rayonnent et brillent comme des yeux d’enfants.
Départ vers 5h le lendemain, dans le calme encore nocturne de l’Île-de-France, la météo nous annonce que la pluie s’est invitée en chemin. Direction Roissy-en-Brie, Touques, puis Sézanne. Les paysages changent, s’aplatissent, deviennent agricoles. Le temps a viré au gris, et le café du matin semble long à venir. Un bon double bien corsé est nécessaire pour que notre allure se régule. Les routes semblent pourries, les paysages monotones et chacun d’entre nous pédale en silence.
Qui n’a pas connu ces longs silences de la troisième étape n’a jamais vraiment vécu la longue distance. Pendant ces périodes, le corps devient un robot, les tours de manivelles s’enchainent les uns après les autres. La moindre aspérité sur la route nous semble un témoignage de mauvais entretien. Les articulations couinent et le GPS poursuit sa litanie sans sourciller, il reste tant de côtes avant le but final.
On traverse Mailly-le-Camp, puis Vitry-le-François avant de rejoindre Saint-Dizier.
Dans la grisaille, nous empruntons une route qui n’a rien d’une route blanche. A chaque tour de roue, ça sent la mort, les poids-lourds nous doublent à vive allure, un bas-côté hostile nous invite à ne pas le fréquenter, et au loin la ligne droite se perd dans les ténèbres. Ce tronçon de route sorti tout droit d’un film d’Hitchcock dans un fond de ciel de plus en plus menaçant.
Une étape est posée à Menaucourt puis Menil-la-Hargne. Un truc de fou perché dans la montagne. Après trois jours de vélo intensif, la moindre colline devient une montagne et le moindre détour est sujet à discussion.
Notre hôte nous attend jusqu’au milieu de la nuit pour nous offrir un havre de paix bien sec et bien chaud. Dans une nuit noire, il semble que les randonneuses ne progressent plus. On entend des sangliers partout, la pluie nous dégouline dans le cou malgré nos capes. Les derniers villages ont éteint leurs lampadaires depuis bien longtemps et seuls quelques rares phares de voitures nous signalent que nous ne sommes pas seuls au monde.
Nous sommes accueillis comme dans un conte de fée. Ereintés et rincés, nous sommes autorisés à pénétrer avec nos montures dans la grande pièce qui donne directement sur notre chambre. Il est illusoire de penser faire sécher nos vêtements mais pour quelques heures nous demeurons au sec et c’est le plus important.
Nous décidons de repartir à 4 heures du matin. L’étape est plus courte mais le vent nous attend et la pluie est annoncée. Comme chaque matin, la mise en route est difficile. Sébastien s’impatiente, le petit déjeuner arrive après plusieurs dizaines de kilomètres. Il nous est servi dans une belle brasserie de la place centrale de Toul. Comme chaque jour, c’est un des moments très appréciés de l’étape, un moment simple, souriant, dans une ville déjà éveillée. La route se poursuit vers Nancy, puis la vallée se resserre en remontant vers Lutzelbourg.
Alors que nous cheminons sur les côteaux, après un repas pris sous un préau d’une école communale au milieu des jeux des enfants, nous apercevons un point rouge qui nous observe au loin. C’est Alain Schauber qui est venu à notre rencontre pour partager un bout de route ensemble.
On ne dira jamais assez le bonheur de tout Diagonaliste lorsqu’il rencontre un copain ou une copine du S.A.R. (Service d’Accompagnement Routier) en fin de Diagonale. Ca casse la monotonie, et ça redonne un sacré coup de fouet. Merci Alain, ces quelques kilomètres passé ensemble nous ont redonné un moral d’enfer lors de cette dernière étape très humide et très nuageuse.
Le passage par le canal et les forêts annonce l’Alsace proche. On atteint Saverne sans donner un coup de pédale. Les montures sentent l’écurie. La pluie a cessé. Le parcours final n’est pas de tout repos, on joue à saute collines. Voulant tirer au plus court, on en oublie que l’Alsace est une région touristique et très urbanisée. Il nous faut produire quelques efforts pour atteindre Retzwiller sous la pluie et dans le vent et enfin, la Madone, Jocelyne, apparaît au détour d’un village. Nous savons que dès lors, notre sort est scellé. Notre guide nous trace la route et nous baissons la tête pour éviter les trombes d’eau. Strasbourg se trouve au loin dans la brume.
Encore quelques derniers efforts et le panneau de Strasbourg est en vue. Les derniers kilomètres pour arriver au point symbolique du Commissariat ne pèsent plus dans les jambes. Par miracle, nous pédalons avec légèreté dans la ville et la pluie s’est arrêtée. Un grand merci à Jocelyne et à Marc pour leur accueil. A Strasbourg, on savait que toutes les fatigues s’estomperaient et ce fut le cas.
Le traditionnel Baeckeoffe de Jocelyne accompagné de breuvages locaux nous a fait oublié que quatre jours auparavant nous avions quitté les bords de l’Océan.
Un grand Merci à tous ceux qui ont partagé un bout de Diagonale avec nous, que ce soit sur la route dans les cafés, les boulangeries ou autres épiceries, le soir à l’étape ou pour un bout de chemin. Merci à Elisabeth d’avoir pris soin de nous dans la traversée de Paris, à Alain de nous avoir retrouvé au bon moment, là où le moral est un peu en berne, à Jocelyne et à Marc d’avoir pansé toutes nos plaies à l’arrivée.
Pour ma part, j’étais heureux d’avoir partagé cette Diagonale avec Sébastien, un compagnon sûr et bienveillant. Nous l’avons vécu comme des cyclo-voyageurs, au rythme des collines, du vent et des rencontres. Un vrai voyage.
On peut même dire à quand la prochaine.








